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médiation familiale, regards croisés & perspectives

Éditions E.R.E.S., novembre 1997

préface d'Irène THERY.

de
Annie BABU,
Isabella BILETTA, Noëlle MARILLER.
Pierrette BONNOURE-AUFIÈRE,
Maryvonne DAVID-JOUGNEAU,
Stéphane DITCHEV,
Alain GIROT,

Regards croisés de professionnels qui, depuis plus de dix ans, se préoccupent des conflits familiaux et des inconvénients de la procédure judiciaire, surtout dans les cas de séparations, divorces... Chacun découvre, à sa façon, la voie de la médiation familiale : sa philosophie, sa pratique, les raisons de son émergence et son rapport avec l'institution. L'analyse qui en montre les bienfaits et les perspectives n'en masque ni les difficultés ni les limites, même après la loi du 8 février 1995 qui la consacre.

Tous ceux qui gèrent traditionnellement le conflit autour des ruptures familiales, dans le champ psycho-social et juridique, se trouvent interrogés : comment chacun va-t-il redéfinir son rôle ou se situer face à la médiation familiale ? Derrière cette pratique, c'est un autre mode de penser les êtres et leurs relations, vers une autre logique de communication en même temps qu'une éthique qui se confrontent avec les habitudes de penser et d'agir liées, entre autres, au système judiciaire. La médiation, qui s'attache à tisser des liens, implique paradoxalement bien des ruptures pour être mise en pratique.

Recherche de chaque auteur, mises en commun, ce livre ne prétend pas être une synthèse. Il s'adresse à chacun des acteurs de la séparation familiale, dans sa réflexion sur sa pratique, éclairée ou décloisonnée par le regard de tous les autres : il est lui-même invitation à la recherche...

 

INTRODUCTION

Les ruptures familiales ont toujours été des moments charnières, souvent difficiles, parfois très douloureux : au-delà des affects, s'y jouent des conflits exprimés ou latents qui peuvent hypothéquer l'avenir de tous ceux qu'elles concernent. La souffrance qui s'ensuit pour les enfants comme pour les parents est devenue, ces dernières décennies, plus perceptible dans ses répercussions en raison de l'accroissement du nombre de séparations/divorces.

Parallèlement à cette mouvance, les relations familiales, dans le contexte de notre société en devenir, ont évolué : les rôles parentaux, avec une place respective et bien définie du père et de la mère, sont en mutation. Ceci rend plus complexe la recherche de "solutions satisfaisantes", au moment de la séparation.

Toute rupture familiale implique une reconstruction des rôles parentaux dans une situation qui est nouvelle. Comment assurer son rôle de père ou de mère quand l'unité de lieu et de temps des rapports familiaux antérieurs n'existe plus, quand on ne voit plus ses enfants en permanence ?

Comment, pour les parents, se séparer sans faire des camps retranchés dans lesquels les enfants se trouvent enrôlés à leur corps défendant, dans une stratégie de vengeance et de rapport de force qui les dépasse et les angoisse, en leur demandant bien souvent de choisir...? Comment éviter "la guerre", destructrice des liens tissés et, par là, dangereuse pour tous les individus qui y succombent ou la subissent ?

Le constat de l'inadéquation des solutions juridico-judiciaires a été fait depuis deux décennies, dans les pays anglo-saxons et, peu après, dans d'autres pays européens. Dans le même temps, une nouvelle approche s'est dessinée, cherchant, là où le dialogue est rompu, à éviter de recourir d'emblée à la procédure judiciaire, dans laquelle chacun est amené à durcir ses positions dans une escalade menant le plus souvent à l'impasse. Lors d'un conflit familial, conflit de séparation mais aussi conflit intra-familial, le médiateur, tiers "neutre, impartial et compétent" vise à rétablir un minimum de communication et, par un processus structuré qui demande du temps, amène les parties en présence, à rechercher et définir elles-mêmes des accords mutuellement satisfaisants.

Partie des pays anglo-saxons, pays de Common Law (U.S.A., Australie, Grande-Bretagne), la médiation familiale s'est installée en Europe via le Canada et plus précisément le Québec. Mais, bien avant son introduction en France, en 1988, de nombreuses personnes des champs psycho-social, juridique et associatif, confrontées aux problèmes de la séparation, cherchaient et exploraient déjà des voies nouvelles dans leurs pratiques ; d'autres abordaient ces voies de manière plus théorique... Les auteurs de ce livre furent de ces pionniers. Tous, à leur manière, ont ouvert la voie de la médiation familiale, avant même de la connaître et avant de se rencontrer. Ils n'ont cessé depuis, soit individuellement, soit collectivement, de s'interroger sur son bien-fondé et ses limites, sur sa logique, sur les difficultés et les problèmes posés par sa pratique et ce dans chacun des champs spécifiques où ils s'inscrivent.

Ils ont oeuvré, avec d'autres, pour que la médiation familiale se fasse connaître et qu'une formation à cette pratique se mette en place. Annie Babu a eu, à cet égard, un rôle pionnier en organisant la formation à partir des savoirs acquis Outre-Atlantique et en particulier au Québec, en pratiquant des médiations familiales dès 1988 et en étant à l'initiative de l'Association pour la Promotion de la Médiation Familiale (A.P.M.F.).

Depuis 1988, tant la pratique que la formation n'ont cessé d'évoluer pour s'adapter aux mentalités et au contexte juridique français. La médiation familiale s'est mise en place peu à peu, sur la base d'initiatives personnelles ou associatives, en marge de l'appareil judiciaire, avec plus ou moins d'efficacité. D'une part, il n'est pas certain que tous les praticiens aient été également formés, d'autre part et surtout le public concerné n'en n'a jamais été largement informé. Enfin, le milieu judiciaire comme le milieu "psy" n'ont pas été sans réticence à l'égard de cette pratique, même si, en leur sein, certains ont beaucoup contribué à sa promotion.

Les efforts pour faire connaître l'intérêt de cette nouvelle approche ont rencontré des réflexions complémentaires ou parallèles au sein des institutions. Ainsi, la loi du 8 février 1995, et le décret d'application du 22 juillet 1996, ont introduit la médiation comme un des modes de résolution des conflits auquel le juge peut faire désormais appel. Ces textes vont sûrement avoir des répercussions importantes sur le rôle et la place de la médiation familiale en France. Mais, traitant de la médiation en général, ils ne sont pas sans poser problème au niveau de leur interprétation et de leur application dans le champ familial.

C'est dans ce contexte que le questionnement de ceux qui ont la pratique et/ou qui réfléchissent depuis des années à ce "changement de logique" que constitue la médiation par rapport à la procédure est d'un intérêt particulier, compte tenu surtout de la diversité des perspectives des auteurs. Nous résumons ici chacune d'entre elles en suivant l'ordre des textes choisi dans le livre, ordre que chacun peut défaire et refaire à sa guise.

Maryvonne DAVID-JOUGNEAU, philosophe et sociologue, analyse la médiation comme mode de penser dialectique dont on trouve déjà la trace dans la Grèce antique. Elle confronte les logiques de communication de la procédure et de la médiation familiale et montre l'avantage de cette dernière qui, lors d'une rupture, prend en compte toutes les dimensions de la famille.

Annie BABU décrit sa pratique de médiatrice : le processus structuré par lequel elle amène les personnes en conflit à rétablir à la fois un dialogue minimum et des liens qui résistent à la séparation, à partir d'accords qu'elles ont élaborés elles-mêmes et qui orientent l'avenir.

Stéphane DITCHEV, secrétaire de la Fédération des Mouvements de la Condition Paternelle, montre comment, partant de la souffrance des pères (et des mères...) qui résultait principalement des procédures, il fallait trouver une autre manière d'aborder la séparation qui s'inscrive dans une société en mouvement bousculant les rôles traditionnels de l'homme et de la femme, du père et de la mère au milieu desquels se trouvent les enfants...!

Alain GIROT réfléchit sur son expérience de juge et témoigne du danger de la procédure dans les affaires familiales. Il se demande en quoi son statut lui donne vraiment le droit d'être un "super-parent" et de décider pour les autres de ce qui est préférable pour eux et leurs enfants. Face à la médiation, il s'interroge sur le rôle du juge.

Pierrette BONNOURE-AUFIÈRE, dans sa double pratique d'avocate et de médiatrice familiale, réfléchit à l'articulation entre la logique du droit et celle de la médiation. Son questionnement se situe au niveau général et institutionnel à propos, entre autres, de la "médiation judiciaire", mais aussi au niveau individuel : peut-on être médiateur et avocat ?

Isabella BILETTA et Noëlle MARILLER, respectivement chargée de mission et chef de bureau au Service des Droits des femmes, montrent de quelle manière, en partant des difficultés et de la souffrance des femmes après les séparations, ce service étatique a été amené à s'intéresser à ce nouveau processus de résolution des conflits familiaux.

Ce livre, par les points de vue divers qu'il conjugue, se propose de montrer la voie de la médiation familiale, sans en masquer les difficultés ni les limites pour la mettre en pratique. Il s'adresse à tous ceux qui ont intérêt à la connaître : ceux qui se séparent mais aussi et principalement tous les professionnels du champ psycho-social et juridique qui gèrent traditionnellement le conflit autour de la séparation familiale.

MÉDIATION FAMILIALE,

REGARDS CROISÉS & PERSPECTIVES 

Éditions E.R.E.S., novembre 1997

Préface d'IRENE THÉRY : La médiation familiale se donne volontiers comme une innovation sur le "comment". Comment éviter l’escalade du conflit entre un homme et une femme en train de se séparer ? Comment rétablir une communication défaillante ? Comment appuyer deux parents dans la recherche de solutions négociées, adaptées à leur histoire, aux besoins de leurs enfants, et à leurs modes concrets de vie ? Cette insistance sur les moyens est d’autant plus importante pour beaucoup de médiateurs qu’elle signe leur volonté de ne pas préjuger de la solution à rechercher. Dans l’auto-définition initiale de la média-tion, l’objectif est d’assister de façon "neutre" un processus progressif de reconnaissance mutuelle et de négociation au terme duquel les individus concernés découvriront par eux-mêmes la solution adaptée à leur cas particulier. Cette appro-che amène très logiquement à distinguer, voire à opposer les moyens de la médiation à ceux de la procédure judiciaire.

Pourtant, en matière de séparation et de divorce, comment séparer les moyens à mettre en oeuvre des fins poursuivies ? Et comment isoler artificiellement les solutions particulières que peuvent trouver les individus, de l’horizon collectif des possibles que crée une société à un moment donné ? La médiation familiale est apparue à un moment historique très particulier où c’est bien sur les fins que nous avons assisté à un renversement des attitudes collectives. Ce renverse-ment, c’est l’apparition d’un nouvel idéal de co-parentalité après séparation. Il n’est pas inutile d’en faire un bref historique, pour rappeler à quel point cet idéal est récent, et bouleverse les conceptions traditionnelles du divorce.

On peut rétrospectivement penser que la notion de co-parentalité était déjà en germe dès la réforme du divorce de 1975 en France. A ce moment-là, le divorce par consentement mutuel a été légalisé princi-palement parce qu’il fut admis largement que cette procédure favoriserait le respect réciproque, les arrangements amiables, et éviterait des conflits préjudiciables aux enfants. Cependant, un germe n’est qu’un germe. En réalité, en 1975, presque personne ne pensait véritablement à re-mettre en cause ce qui apparaissait depuis 1884 comme la fatalité même de la rupture conjugale : l’alternative parentale. On ne voyait pas comment il pourrait y avoir véri-tablement deux parents dans la vie de l’en-fant dès lors qu’il n’y avait plus de vie de couple. Dans la formule du Code civil alors retenue -"la garde sera confiée à l’un ou l’autre des parents"- le "ou" signifiait bel et bien que la conséquence de la sépara-tion était inexorablement de distinguer un parent "principal" (doté de l’exercice de l’autorité parentale et de la résidence familiale) et un parent "en pointillé", dont les responsabilités et les liens aux enfants se résumeraient au mieux au paiement d’une pension et à l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement assez limité.

Ce n’est qu’avec la mobilisation des premières associations de pères divorcés et la création prétorienne des premières "gardes conjointes" que s’amorce vraiment le renversement que va renforcer l’arrêt de la Cour de cassation de 1984 entérinant ces gardes conjointes, puis l’apparition dans le Code civil en 1987 de l’autorité parentale exercée en commun, et enfin en 1993 la promotion de l’autorité parentale conjointe en principe d’organisation de l’après-divorce et de la famille naturelle.

On sait quelles sont les données sociologiques et culturelles majeures qui expliquent l’affirmation progressive de l’idéal de co-parentalité au cours des années quatre-vingts : la transformation de la perception du sens du divorce à travers la notion de "faillite" du couple atténue l’opposition entre un coupable et une victime innocente ; la précarisation massive des liens conjugaux nourrit une inquiétude inédite pour la pérennité de la filiation, et d’abord pour le maintien des liens père-enfants ; la transformation enfin de la perception de la dynamique familiale s’accompagne du refus croissant de faire table rase du passé, en référence à la fois à la signification du lien généalogique et à la continuité de l’identité de l’enfant au-delà des ruptures et transitions familiales. La co-parentalité peut donc être comprise comme une volonté de prendre acte du "démariage" de façon responsable, en accompagnant la précarité des couples contemporains d’un effort collectif d’invention de formes nouvelles de maintien du lien de la filiation au-delà des aléas conjugaux.

La médiation familiale est issue très précisément de ce contexte. Elle a trouvé sa raison d’être, sa légitimité et son essor dans les pays anglo-saxons, puis en France, dans une défense particulièrement forte de cet idéal de co-parentalité, à un moment où les esprits en général, et le monde judiciaire en particulier, hésitaient encore à affirmer aussi clairement l’exi-gence concrète du maintien du double lien de la filiation. Comme ce livre le montre de façon particulièrement claire, tous les dis-cours de valorisation de la médiation, au-delà de leur diversité, reposent sur un objectif commun, énoncé avec la force de l’évidence : le maintien, dans la vie quotidienne, du lien de l’enfant à ses deux parents.

Le paradoxe de la médiation est là : ne s’affirmer encore souvent que comme une technique, ne proposant explicitement que des moyens, alors qu’elle poursuit des fins radicalement nouvelles. Prendre conscience de ce paradoxe est important pour deux raisons. D’une part parce qu’en liant davantage les débats sur les moyens de la médiation à des débats sur les fins qu’elle poursuit, on se rendrait compte que l’une des difficultés majeures de toute séparation aujourd’hui est que l’idéal collectif de co-parentalité demeure encore extraordinai-rement contradictoire et incertain. D’autre part parce qu’en approfondissant l’interrogation sur les fins, on percevrait que les lignes de clivage majeures ne passent pas nécessairement aujourd’hui entre le monde judiciaire de la procédure et le monde négocié de la médiation, mais traversent l’un et l’autre.

L’incertitude et les contradictions de l’idéal de co-parentalité se manifestent sur deux plans apparemment assez différents : la définition des liens familiaux post-divorce et la référence à la maison dans l’organisation concrète de la vie quotidienne. Or, ces deux plans sont liés, comme en témoignent les débats préparatoires aux réformes de 1987 et de 1993. Tout s’est passé comme si, dans un premier temps, l'incapacité de donner corps à des conceptions nouvelles s’était traduite par une double interrogation. D’un côté à penser la spécificité de la co-parentalité quand il n’y a plus de couple, qui a conduit à imaginer un "couple parental" maintenu, comme si le divorce ne concernait que la conjugalité, laissant intact tout le reste de la famille initiale. De l’autre, la difficulté à penser la spécificité des modes de vie post-divorce, qui a conduit à rigidifier la référence à la résidence principale, comme si le maintien de l’appartenance de l’enfant à une seule maison était la garantie fondamentale de son identité propre d’individu.

Comme le montrent les auteurs de ce livre, on perçoit bien aujourd’hui que les incertitudes et les tensions du judiciaire, mais aussi plus largement de la société, tiennent à cette approche très contra-dictoire, où on a tenté en quelque sorte de compenser une erreur par une autre.

La première erreur concerne le mythe du "couple parental" après divorce. Comment les parents pourraient-ils croire que la séparation ne change rien, qu’ils doivent continuer d’élever l’enfant ensemble comme s’ils n’étaient pas séparés, prendre en commun quasiment toutes les décisions le concernant, lui assurer un quotidien chez l’un et l’autre très proche dans les attitudes et les valeurs, voire "faire comme si" rien n’avait changé en se retrouvant comme avant ? Il y aurait là une forme de déni de la séparation. En effet, sans même évoquer les conflits proprement parentaux qui ont souvent précipité la faillite du couple, une fois la séparation accomplie le mouvement de la vie amène par lui-même tout naturellement des différenciations entre les modes éducatifs du père et de la mère. Les choix de vie de chacun évoluent et s’autonomisent en partie avec le temps. Autrement dit, les parents font l’expérience que le divorce non seulement met en cause le couple conjugal, mais modifie le couple parental qu’ils formaient au temps de la vie commune. On perçoit aujourd’hui plus clairement que ne pas reconnaître ces changements, s’arcbouter sur la "famille maintenue", est en définitive un facteur d’intolérance. Au nom du couple parental antérieur, toute différence de comportement peut être perçue chez l’autre comme un manquement ou une trahison. De là les appels incessants au juge pour trancher le moindre désaccord domestique, qui prend des allures de déclaration de guerre.

L’autre erreur est la symétrique de la précédente, qu’elle tente maladroitement de corriger par un effet d’équilibrage. Elle consiste à s’obstiner à considérer que dans tous les cas, l’enfant doit avoir une maison qui soit la sienne, et une seule. On sait de quel poids les "psy" ont pesé dans l’idée, largement partagée encore aujourd’hui, que l’alternance de l’hébergement serait dangereuse pour les enfants, ainsi privés d’un chez soi unique, garant de l’unicité de leur identité et de la stabilité de leur quotidien. Mais comment ne pas voir que cette fameuse résidence principale, sur laquelle se sont déplacés tous les conflits symboliques qui concernaient naguère la garde, réintroduit la distinction entre un parent principal et un parent secondaire, qu’on avait voulu combattre ? Comment ne pas voir que là encore on s’arc-boute sur l’illusion de la "maison maintenue" au moment où les parents et les enfants font l’expérience qu’il est à la fois normal, possible, organisable et signifiant pour l’enfant d’aller et venir entre deux maisons, parce que ces deux maisons incarnent la double appartenance qui demeure la sienne ?

La médiation a tenté d'échapper à ces incertitudes. Au départ ont pesé sur la définition implicite de ses objectifs l'illusion du couple parental maintenu et le dogme de la résidence principale. Mais les esprits ont évolué. De plus

en plus de professionnels de la famille et de parents ont cherché à dépasser les formules anciennes. On a commencé de penser que la co-parentalité pourrait être abordée de façon plus souple comme une collaboration entre deux codes parentaux dont l’enjeu est bien davantage d’être compatibles que d’être identiques. On a perçu plus clairement que la pensée sur la résidence pouvait échapper aussi bien à une crispation sur la fausse sécurité du lieu unique qu’à une sorte d’égalitarisme principiel "dur" (dans la logique de l’ancienne "garde alternée"), pour que s’élaborent des solutions souples, soucieuses avant tout d’offrir aux deux parents un temps suffisant pour maintenir un rapport vivant à l’enfant. L’élargissement du droit de visite, l’abandon du stéréotype du "un week-end sur deux", participent de cette évolution, dont on peut penser qu’elle pourrait aller jusqu’à mettre en cause un jour la notion sociologique de "résidence principale" (un domicile administratif ne suffit-il pas, en droit ?).

Tous ces débats sont encore aujourd’hui à l’ordre du jour, et les désaccords demeurent nombreux sur les possibles comme sur les limites. La société dans son ensemble n’a encore pas donné un contenu suffisamment concret à l’idéal de co-parentalité qu’elle affiche sans en tirer les conséquences, au risque de le réduire à un gadget. Là s’enracinent aussi bien les difficultés rencontrées au sein des procédures judiciaires qu’au sein des médiations : car comment s’accorder sur une démarche de négociation sans quelques références communes fondamentales, servant non pas de modèle à suivre dogmatiquement, mais de principes clairs guidant la recherche de solutions particulières ?

Les médiateurs, forts de leur expérience et de l’enrichissement de la réflexion théorique et pratique ne doivent-ils pas à l’avenir prendre toute leur place dans ces débats sur les fins qui sont celles de la négociation qu’ils organisent ? Les diverses contributions de ce livre incitent à sortir de l’illusion que leur spécificité est purement "technique" et contribuent de façon décisive à rendre à la fois plus consistant théoriquement et plus précis pratiquement l’idéal de la co-parentalité. Il y a là sans doute un nouveau défi qui implique aussi bien un retour critique sur des dogmatismes dépassés que des innovations décisives dans la perception collective des enjeux contemporains de la filiation.

En outre, on peut penser que s’emparer plus explicitement de ces questions contribue à clarifier les places respectives de la procédure judiciaire et de la médiation familiale. Car ce qui se révèle alors est que a médiation n’a pas besoin, pour s’affirmer, d’enfermer la justice dans le stéréotype de l’affrontement et du conflit. Certes, on trouvera toujours des exemples de juges autoritaires, d’avocats querelleurs, de procédures favorisant des logiques de guerre, de préjugés énoncés comme des vérités dans des rapports d’enquête sociale ou des jugements. Mais l’essentiel, au plan sociologique, est que l’évolution du monde judiciaire est très profonde, et (à l’échelle de l’histoire) remarquablement rapide face aux nouveaux enjeux de la séparation. La médiation n’a pas le monopole de la recherche d’une co-parentalité paisible. Si elle accompagne et conforte cette évolution, elle se posera moins en alternative au judiciaire qu’en complément de celui-ci. Elle pourra alors plus clairement encore revendiquer sa perspective propre, qui est de s’adresser non à des "sujets de droit" (ce qui est le rôle de la justice) mais à cette part des individus qui ne relève pas du droit mais du non droit : la part des affects, du souci de soi, et surtout de la communication avec l’autre... Cette dimension en quelque sorte "privée" de la séparation envahit parfois de façon sauvage les procédures, avec d’autant plus de force qu’elle est occultée dans l’espace spécifique du tribunal. La reconnaître, lui offrir un espace légitime d’expression, l’insérer dans des processus d’échange transparents dont le but est clairement la recherche de l’accord, tel est le défi que veut relever la médiation. L’exigence de professionnalisme, qui n’a jamais été exprimée en France avec autant de force que par les auteurs de ce livre, est à la hauteur de ce défi.

Irène Théry

1197