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médiation familiale, regards croisés & perspectives
Éditions E.R.E.S., novembre 1997
préface d'Irène THERY.
Regards croisés de professionnels qui, depuis plus de dix ans, se préoccupent des conflits familiaux et des inconvénients de la procédure judiciaire, surtout dans les cas de séparations, divorces... Chacun découvre, à sa façon, la voie de la médiation familiale : sa philosophie, sa pratique, les raisons de son émergence et son rapport avec l'institution. L'analyse qui en montre les bienfaits et les perspectives n'en masque ni les difficultés ni les limites, même après la loi du 8 février 1995 qui la consacre.
Tous ceux qui gèrent traditionnellement le conflit autour des ruptures familiales, dans le champ psycho-social et juridique, se trouvent interrogés : comment chacun va-t-il redéfinir son rôle ou se situer face à la médiation familiale ? Derrière cette pratique, c'est un autre mode de penser les êtres et leurs relations, vers une autre logique de communication en même temps qu'une éthique qui se confrontent avec les habitudes de penser et d'agir liées, entre autres, au système judiciaire. La médiation, qui s'attache à tisser des liens, implique paradoxalement bien des ruptures pour être mise en pratique.
Recherche de chaque auteur, mises en commun, ce livre ne prétend pas être une synthèse. Il s'adresse à chacun des acteurs de la séparation familiale, dans sa réflexion sur sa pratique, éclairée ou décloisonnée par le regard de tous les autres : il est lui-même invitation à la recherche...
INTRODUCTION
Les ruptures familiales ont toujours été des moments charnières, souvent difficiles, parfois très douloureux : au-delà des affects, s'y jouent des conflits exprimés ou latents qui peuvent hypothéquer l'avenir de tous ceux qu'elles concernent. La souffrance qui s'ensuit pour les enfants comme pour les parents est devenue, ces dernières décennies, plus perceptible dans ses répercussions en raison de l'accroissement du nombre de séparations/divorces.
Parallèlement à cette mouvance, les relations familiales, dans le contexte de notre société en devenir, ont évolué : les rôles parentaux, avec une place respective et bien définie du père et de la mère, sont en mutation. Ceci rend plus complexe la recherche de "solutions satisfaisantes", au moment de la séparation.
Toute rupture familiale implique une reconstruction des rôles parentaux dans une situation qui est nouvelle. Comment assurer son rôle de père ou de mère quand l'unité de lieu et de temps des rapports familiaux antérieurs n'existe plus, quand on ne voit plus ses enfants en permanence ?
Comment, pour les parents, se séparer sans faire des camps retranchés dans lesquels les enfants se trouvent enrôlés à leur corps défendant, dans une stratégie de vengeance et de rapport de force qui les dépasse et les angoisse, en leur demandant bien souvent de choisir...? Comment éviter "la guerre", destructrice des liens tissés et, par là, dangereuse pour tous les individus qui y succombent ou la subissent ?
Le constat de l'inadéquation des solutions juridico-judiciaires a été fait depuis deux décennies, dans les pays anglo-saxons et, peu après, dans d'autres pays européens. Dans le même temps, une nouvelle approche s'est dessinée, cherchant, là où le dialogue est rompu, à éviter de recourir d'emblée à la procédure judiciaire, dans laquelle chacun est amené à durcir ses positions dans une escalade menant le plus souvent à l'impasse. Lors d'un conflit familial, conflit de séparation mais aussi conflit intra-familial, le médiateur, tiers "neutre, impartial et compétent" vise à rétablir un minimum de communication et, par un processus structuré qui demande du temps, amène les parties en présence, à rechercher et définir elles-mêmes des accords mutuellement satisfaisants.
Partie des pays anglo-saxons, pays de Common Law (U.S.A., Australie, Grande-Bretagne), la médiation familiale s'est installée en Europe via le Canada et plus précisément le Québec. Mais, bien avant son introduction en France, en 1988, de nombreuses personnes des champs psycho-social, juridique et associatif, confrontées aux problèmes de la séparation, cherchaient et exploraient déjà des voies nouvelles dans leurs pratiques ; d'autres abordaient ces voies de manière plus théorique... Les auteurs de ce livre furent de ces pionniers. Tous, à leur manière, ont ouvert la voie de la médiation familiale, avant même de la connaître et avant de se rencontrer. Ils n'ont cessé depuis, soit individuellement, soit collectivement, de s'interroger sur son bien-fondé et ses limites, sur sa logique, sur les difficultés et les problèmes posés par sa pratique et ce dans chacun des champs spécifiques où ils s'inscrivent.
Ils ont oeuvré, avec d'autres, pour que la médiation familiale se fasse connaître et qu'une formation à cette pratique se mette en place. Annie Babu a eu, à cet égard, un rôle pionnier en organisant la formation à partir des savoirs acquis Outre-Atlantique et en particulier au Québec, en pratiquant des médiations familiales dès 1988 et en étant à l'initiative de l'Association pour la Promotion de la Médiation Familiale (A.P.M.F.).
Depuis 1988, tant la pratique que la formation n'ont cessé d'évoluer pour s'adapter aux mentalités et au contexte juridique français. La médiation familiale s'est mise en place peu à peu, sur la base d'initiatives personnelles ou associatives, en marge de l'appareil judiciaire, avec plus ou moins d'efficacité. D'une part, il n'est pas certain que tous les praticiens aient été également formés, d'autre part et surtout le public concerné n'en n'a jamais été largement informé. Enfin, le milieu judiciaire comme le milieu "psy" n'ont pas été sans réticence à l'égard de cette pratique, même si, en leur sein, certains ont beaucoup contribué à sa promotion.
Les efforts pour faire connaître l'intérêt de cette nouvelle approche ont rencontré des réflexions complémentaires ou parallèles au sein des institutions. Ainsi, la loi du 8 février 1995, et le décret d'application du 22 juillet 1996, ont introduit la médiation comme un des modes de résolution des conflits auquel le juge peut faire désormais appel. Ces textes vont sûrement avoir des répercussions importantes sur le rôle et la place de la médiation familiale en France. Mais, traitant de la médiation en général, ils ne sont pas sans poser problème au niveau de leur interprétation et de leur application dans le champ familial.
C'est dans ce contexte que le questionnement de ceux qui ont la pratique et/ou qui réfléchissent depuis des années à ce "changement de logique" que constitue la médiation par rapport à la procédure est d'un intérêt particulier, compte tenu surtout de la diversité des perspectives des auteurs. Nous résumons ici chacune d'entre elles en suivant l'ordre des textes choisi dans le livre, ordre que chacun peut défaire et refaire à sa guise.
Maryvonne DAVID-JOUGNEAU, philosophe et sociologue, analyse la médiation comme mode de penser dialectique dont on trouve déjà la trace dans la Grèce antique. Elle confronte les logiques de communication de la procédure et de la médiation familiale et montre l'avantage de cette dernière qui, lors d'une rupture, prend en compte toutes les dimensions de la famille.
Annie BABU décrit sa pratique de médiatrice : le processus structuré par lequel elle amène les personnes en conflit à rétablir à la fois un dialogue minimum et des liens qui résistent à la séparation, à partir d'accords qu'elles ont élaborés elles-mêmes et qui orientent l'avenir.
Stéphane DITCHEV, secrétaire de la Fédération des Mouvements de la Condition Paternelle, montre comment, partant de la souffrance des pères (et des mères...) qui résultait principalement des procédures, il fallait trouver une autre manière d'aborder la séparation qui s'inscrive dans une société en mouvement bousculant les rôles traditionnels de l'homme et de la femme, du père et de la mère au milieu desquels se trouvent les enfants...!
Alain GIROT réfléchit sur son expérience de juge et témoigne du danger de la procédure dans les affaires familiales. Il se demande en quoi son statut lui donne vraiment le droit d'être un "super-parent" et de décider pour les autres de ce qui est préférable pour eux et leurs enfants. Face à la médiation, il s'interroge sur le rôle du juge.
Pierrette BONNOURE-AUFIÈRE, dans sa double pratique d'avocate et de médiatrice familiale, réfléchit à l'articulation entre la logique du droit et celle de la médiation. Son questionnement se situe au niveau général et institutionnel à propos, entre autres, de la "médiation judiciaire", mais aussi au niveau individuel : peut-on être médiateur et avocat ?
Isabella BILETTA et Noëlle MARILLER, respectivement chargée de mission et chef de bureau au Service des Droits des femmes, montrent de quelle manière, en partant des difficultés et de la souffrance des femmes après les séparations, ce service étatique a été amené à s'intéresser à ce nouveau processus de résolution des conflits familiaux.
Ce livre, par les points de vue divers qu'il conjugue, se propose de montrer la voie de la médiation familiale, sans en masquer les difficultés ni les limites pour la mettre en pratique. Il s'adresse à tous ceux qui ont intérêt à la connaître : ceux qui se séparent mais aussi et principalement tous les professionnels du champ psycho-social et juridique qui gèrent traditionnellement le conflit autour de la séparation familiale.
MÉDIATION FAMILIALE,
REGARDS CROISÉS & PERSPECTIVES
Éditions E.R.E.S., novembre 1997
Préface d'IRENE THÉRY : La médiation familiale se donne volontiers comme une innovation sur le "comment". Comment éviter lescalade du conflit entre un homme et une femme en train de se séparer ? Comment rétablir une communication défaillante ? Comment appuyer deux parents dans la recherche de solutions négociées, adaptées à leur histoire, aux besoins de leurs enfants, et à leurs modes concrets de vie ? Cette insistance sur les moyens est dautant plus importante pour beaucoup de médiateurs quelle signe leur volonté de ne pas préjuger de la solution à rechercher. Dans lauto-définition initiale de la média-tion, lobjectif est dassister de façon "neutre" un processus progressif de reconnaissance mutuelle et de négociation au terme duquel les individus concernés découvriront par eux-mêmes la solution adaptée à leur cas particulier. Cette appro-che amène très logiquement à distinguer, voire à opposer les moyens de la médiation à ceux de la procédure judiciaire.
Pourtant, en matière de séparation et de divorce, comment séparer les moyens à mettre en oeuvre des fins poursuivies ? Et comment isoler artificiellement les solutions particulières que peuvent trouver les individus, de lhorizon collectif des possibles que crée une société à un moment donné ? La médiation familiale est apparue à un moment historique très particulier où cest bien sur les fins que nous avons assisté à un renversement des attitudes collectives. Ce renverse-ment, cest lapparition dun nouvel idéal de co-parentalité après séparation. Il nest pas inutile den faire un bref historique, pour rappeler à quel point cet idéal est récent, et bouleverse les conceptions traditionnelles du divorce.
On peut rétrospectivement penser que la notion de co-parentalité était déjà en germe dès la réforme du divorce de 1975 en France. A ce moment-là, le divorce par consentement mutuel a été légalisé princi-palement parce quil fut admis largement que cette procédure favoriserait le respect réciproque, les arrangements amiables, et éviterait des conflits préjudiciables aux enfants. Cependant, un germe nest quun germe. En réalité, en 1975, presque personne ne pensait véritablement à re-mettre en cause ce qui apparaissait depuis 1884 comme la fatalité même de la rupture conjugale : lalternative parentale. On ne voyait pas comment il pourrait y avoir véri-tablement deux parents dans la vie de len-fant dès lors quil ny avait plus de vie de couple. Dans la formule du Code civil alors retenue -"la garde sera confiée à lun ou lautre des parents"- le "ou" signifiait bel et bien que la conséquence de la sépara-tion était inexorablement de distinguer un parent "principal" (doté de lexercice de lautorité parentale et de la résidence familiale) et un parent "en pointillé", dont les responsabilités et les liens aux enfants se résumeraient au mieux au paiement dune pension et à lexercice dun droit de visite et dhébergement assez limité.
Ce nest quavec la mobilisation des premières associations de pères divorcés et la création prétorienne des premières "gardes conjointes" que samorce vraiment le renversement que va renforcer larrêt de la Cour de cassation de 1984 entérinant ces gardes conjointes, puis lapparition dans le Code civil en 1987 de lautorité parentale exercée en commun, et enfin en 1993 la promotion de lautorité parentale conjointe en principe dorganisation de laprès-divorce et de la famille naturelle.
On sait quelles sont les données sociologiques et culturelles majeures qui expliquent laffirmation progressive de lidéal de co-parentalité au cours des années quatre-vingts : la transformation de la perception du sens du divorce à travers la notion de "faillite" du couple atténue lopposition entre un coupable et une victime innocente ; la précarisation massive des liens conjugaux nourrit une inquiétude inédite pour la pérennité de la filiation, et dabord pour le maintien des liens père-enfants ; la transformation enfin de la perception de la dynamique familiale saccompagne du refus croissant de faire table rase du passé, en référence à la fois à la signification du lien généalogique et à la continuité de lidentité de lenfant au-delà des ruptures et transitions familiales. La co-parentalité peut donc être comprise comme une volonté de prendre acte du "démariage" de façon responsable, en accompagnant la précarité des couples contemporains dun effort collectif dinvention de formes nouvelles de maintien du lien de la filiation au-delà des aléas conjugaux.
La médiation familiale est issue très précisément de ce contexte. Elle a trouvé sa raison dêtre, sa légitimité et son essor dans les pays anglo-saxons, puis en France, dans une défense particulièrement forte de cet idéal de co-parentalité, à un moment où les esprits en général, et le monde judiciaire en particulier, hésitaient encore à affirmer aussi clairement lexi-gence concrète du maintien du double lien de la filiation. Comme ce livre le montre de façon particulièrement claire, tous les dis-cours de valorisation de la médiation, au-delà de leur diversité, reposent sur un objectif commun, énoncé avec la force de lévidence : le maintien, dans la vie quotidienne, du lien de lenfant à ses deux parents.
Le paradoxe de la médiation est là : ne saffirmer encore souvent que comme une technique, ne proposant explicitement que des moyens, alors quelle poursuit des fins radicalement nouvelles. Prendre conscience de ce paradoxe est important pour deux raisons. Dune part parce quen liant davantage les débats sur les moyens de la médiation à des débats sur les fins quelle poursuit, on se rendrait compte que lune des difficultés majeures de toute séparation aujourdhui est que lidéal collectif de co-parentalité demeure encore extraordinai-rement contradictoire et incertain. Dautre part parce quen approfondissant linterrogation sur les fins, on percevrait que les lignes de clivage majeures ne passent pas nécessairement aujourdhui entre le monde judiciaire de la procédure et le monde négocié de la médiation, mais traversent lun et lautre.
Lincertitude et les contradictions de lidéal de co-parentalité se manifestent sur deux plans apparemment assez différents : la définition des liens familiaux post-divorce et la référence à la maison dans lorganisation concrète de la vie quotidienne. Or, ces deux plans sont liés, comme en témoignent les débats préparatoires aux réformes de 1987 et de 1993. Tout sest passé comme si, dans un premier temps, l'incapacité de donner corps à des conceptions nouvelles sétait traduite par une double interrogation. Dun côté à penser la spécificité de la co-parentalité quand il ny a plus de couple, qui a conduit à imaginer un "couple parental" maintenu, comme si le divorce ne concernait que la conjugalité, laissant intact tout le reste de la famille initiale. De lautre, la difficulté à penser la spécificité des modes de vie post-divorce, qui a conduit à rigidifier la référence à la résidence principale, comme si le maintien de lappartenance de lenfant à une seule maison était la garantie fondamentale de son identité propre dindividu.
Comme le montrent les auteurs de ce livre, on perçoit bien aujourdhui que les incertitudes et les tensions du judiciaire, mais aussi plus largement de la société, tiennent à cette approche très contra-dictoire, où on a tenté en quelque sorte de compenser une erreur par une autre.
La première erreur concerne le mythe du "couple parental" après divorce. Comment les parents pourraient-ils croire que la séparation ne change rien, quils doivent continuer délever lenfant ensemble comme sils nétaient pas séparés, prendre en commun quasiment toutes les décisions le concernant, lui assurer un quotidien chez lun et lautre très proche dans les attitudes et les valeurs, voire "faire comme si" rien navait changé en se retrouvant comme avant ? Il y aurait là une forme de déni de la séparation. En effet, sans même évoquer les conflits proprement parentaux qui ont souvent précipité la faillite du couple, une fois la séparation accomplie le mouvement de la vie amène par lui-même tout naturellement des différenciations entre les modes éducatifs du père et de la mère. Les choix de vie de chacun évoluent et sautonomisent en partie avec le temps. Autrement dit, les parents font lexpérience que le divorce non seulement met en cause le couple conjugal, mais modifie le couple parental quils formaient au temps de la vie commune. On perçoit aujourdhui plus clairement que ne pas reconnaître ces changements, sarcbouter sur la "famille maintenue", est en définitive un facteur dintolérance. Au nom du couple parental antérieur, toute différence de comportement peut être perçue chez lautre comme un manquement ou une trahison. De là les appels incessants au juge pour trancher le moindre désaccord domestique, qui prend des allures de déclaration de guerre.
Lautre erreur est la symétrique de la précédente, quelle tente maladroitement de corriger par un effet déquilibrage. Elle consiste à sobstiner à considérer que dans tous les cas, lenfant doit avoir une maison qui soit la sienne, et une seule. On sait de quel poids les "psy" ont pesé dans lidée, largement partagée encore aujourdhui, que lalternance de lhébergement serait dangereuse pour les enfants, ainsi privés dun chez soi unique, garant de lunicité de leur identité et de la stabilité de leur quotidien. Mais comment ne pas voir que cette fameuse résidence principale, sur laquelle se sont déplacés tous les conflits symboliques qui concernaient naguère la garde, réintroduit la distinction entre un parent principal et un parent secondaire, quon avait voulu combattre ? Comment ne pas voir que là encore on sarc-boute sur lillusion de la "maison maintenue" au moment où les parents et les enfants font lexpérience quil est à la fois normal, possible, organisable et signifiant pour lenfant daller et venir entre deux maisons, parce que ces deux maisons incarnent la double appartenance qui demeure la sienne ?
La médiation a tenté d'échapper à ces incertitudes. Au départ ont pesé sur la définition implicite de ses objectifs l'illusion du couple parental maintenu et le dogme de la résidence principale. Mais les esprits ont évolué. De plus
en plus de professionnels de la famille et de parents ont cherché à dépasser les formules anciennes. On a commencé de penser que la co-parentalité pourrait être abordée de façon plus souple comme une collaboration entre deux codes parentaux dont lenjeu est bien davantage dêtre compatibles que dêtre identiques. On a perçu plus clairement que la pensée sur la résidence pouvait échapper aussi bien à une crispation sur la fausse sécurité du lieu unique quà une sorte dégalitarisme principiel "dur" (dans la logique de lancienne "garde alternée"), pour que sélaborent des solutions souples, soucieuses avant tout doffrir aux deux parents un temps suffisant pour maintenir un rapport vivant à lenfant. Lélargissement du droit de visite, labandon du stéréotype du "un week-end sur deux", participent de cette évolution, dont on peut penser quelle pourrait aller jusquà mettre en cause un jour la notion sociologique de "résidence principale" (un domicile administratif ne suffit-il pas, en droit ?).
Tous ces débats sont encore aujourdhui à lordre du jour, et les désaccords demeurent nombreux sur les possibles comme sur les limites. La société dans son ensemble na encore pas donné un contenu suffisamment concret à lidéal de co-parentalité quelle affiche sans en tirer les conséquences, au risque de le réduire à un gadget. Là senracinent aussi bien les difficultés rencontrées au sein des procédures judiciaires quau sein des médiations : car comment saccorder sur une démarche de négociation sans quelques références communes fondamentales, servant non pas de modèle à suivre dogmatiquement, mais de principes clairs guidant la recherche de solutions particulières ?
Les médiateurs, forts de leur expérience et de lenrichissement de la réflexion théorique et pratique ne doivent-ils pas à lavenir prendre toute leur place dans ces débats sur les fins qui sont celles de la négociation quils organisent ? Les diverses contributions de ce livre incitent à sortir de lillusion que leur spécificité est purement "technique" et contribuent de façon décisive à rendre à la fois plus consistant théoriquement et plus précis pratiquement lidéal de la co-parentalité. Il y a là sans doute un nouveau défi qui implique aussi bien un retour critique sur des dogmatismes dépassés que des innovations décisives dans la perception collective des enjeux contemporains de la filiation.
En outre, on peut penser que semparer plus explicitement de ces questions contribue à clarifier les places respectives de la procédure judiciaire et de la médiation familiale. Car ce qui se révèle alors est que a médiation na pas besoin, pour saffirmer, denfermer la justice dans le stéréotype de laffrontement et du conflit. Certes, on trouvera toujours des exemples de juges autoritaires, davocats querelleurs, de procédures favorisant des logiques de guerre, de préjugés énoncés comme des vérités dans des rapports denquête sociale ou des jugements. Mais lessentiel, au plan sociologique, est que lévolution du monde judiciaire est très profonde, et (à léchelle de lhistoire) remarquablement rapide face aux nouveaux enjeux de la séparation. La médiation na pas le monopole de la recherche dune co-parentalité paisible. Si elle accompagne et conforte cette évolution, elle se posera moins en alternative au judiciaire quen complément de celui-ci. Elle pourra alors plus clairement encore revendiquer sa perspective propre, qui est de sadresser non à des "sujets de droit" (ce qui est le rôle de la justice) mais à cette part des individus qui ne relève pas du droit mais du non droit : la part des affects, du souci de soi, et surtout de la communication avec lautre... Cette dimension en quelque sorte "privée" de la séparation envahit parfois de façon sauvage les procédures, avec dautant plus de force quelle est occultée dans lespace spécifique du tribunal. La reconnaître, lui offrir un espace légitime dexpression, linsérer dans des processus déchange transparents dont le but est clairement la recherche de laccord, tel est le défi que veut relever la médiation. Lexigence de professionnalisme, qui na jamais été exprimée en France avec autant de force que par les auteurs de ce livre, est à la hauteur de ce défi.
Irène Théry
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