Retour

 

UNIVERSITÉ D'ÉTÉ F.M.C.P. - AOUT 96 - LORIENT

Compte rendu rapide de l'exposé et du débat qui l'a suivi.

EXPOSE

 0 - Introduction

 • "Être père = ?" question liée à 2 autres, à savoir: "être homme = ?" et "être femme =?"

 • Interrogation à se reformuler périodiquement, car les réponses changent avec la société et le temps, surtout depuis le milieu des années 60, dans notre pays.

 • En effet, les façons d'être père / homme / femme, dominantes pendant le XIXème siècle et la 1ère moitié du XXème siècle sont vivement contestées alors que de nouveaux "modèles" se cherchent.

 • Urgence pour nos associations d'être parties prenantes dans les débats d'idées afin que nos actions aient le contenu le plus riche possible, et qu'elles trouvent les concrétisations les plus efficaces pour l'enfant et son père.

 I - Le modèle "patriarcal" remis en cause.

1.1 Le père traditionnel dans la famille et la société patriarcales.

Comme le rappelait E. SULLEROT, la répartition des rôles était la suivante :

1) à la mère l'intérieur (du foyer domestique ) y compris les enfants en tout cas jusque vers 8 ans; au père l'extérieur, avec l'essentiel du travail productif non domestique, la politique, la guerre...

2) Globalement en termes d'autorité et de prestige social, l'"extérieur" l'emportait sur l'"intérieur". Se rappeler qu'en France "patrie des droits de l'homme" , les femmes ne votent que depuis... 1945 !

Pour ce qui est de la "condition paternelle", et plus précisément des rapports père/enfants au sein de cette répartition sociale traditionnelle des rôles familiaux, elle est caractérisée par :

- l'importance sociale du lien de filiation patrilinéaire, en particulier père -> fils ;

- l'autorité paternelle très fortement affirmée ;

- l'absence quasi totale de contact physique proche et fréquent père/enfant durant les premières années d'enfance, ce rôle et les fonctions qui lui sont liées étant délégué aux mères... ou aux nourrices (nourriture, toilette, jeux...).

- L'intervention ultérieure du père pour "l'éducation" du fils, en gros à l'âge de "raison", du moins jusqu'à l'essor de l'industrialisation qui éloigne souvent le lieu de travail du domicile, la fille restant vouée à l'univers domestique.

1.2 La psychanalyse au secours du patriarcat?

Le modèle père-enfant traditionnel, du père autoritaire et distant (dans la petite enfance en tout cas), est apparu en grande partie légitimé par Freud et certains de ses disciples, y compris LACAN : autorité et langage = apanage paternel ; contacts non verbaux etc... = fonction maternelle ; le père doit être "distant" (nous simplifions...) pour ouvrir au monde extérieur la relation mère/enfant . Mais c'est la mère qui "nomme" le père en lui reconnaissant son rôle.

 

Deux conséquences, d'après certains psychanalystes :

- les "nouveaux pères" qui aiment donner le biberon, faire la toilette, jouer avec leur bébé... se comporteraient en "mères bis" au lieu d'assurer leur "véritable" rôle paternel ;

- en cas de séparation le nouvel amant de la mère devrait occuper la "place du père"... et le père biologique ("pouah !") .n'aurait qu'à refaire des enfants ailleurs (A. NAOURI ; toujours en simplifiant).

Insatisfaisant, le modèle traditionnel ?

Foireuses les justifications de certaines interprétations psychanalytiques ? Eh bien justement ça craque de partout...

Mais pour que ça craque dans le bon sens, il faut se retrousser les manches vite fait.

1.3. Les .femmes, l'économie et la médecine : contre le patriarcat ou contre la paternité ? (simples repérages)

• Aux 19e et 20e siècles revendications égalitaires des féministes, en particulier dans un monde politique de plus en plus marqué par les principes démocratiques, d'où l'exclusion des femmes finira par être bannie (dans nos sociétés) ; victoire de principe, mais réalité en retard : voir débat français sur la "parité".

Participation croissante des femmes à la production économique hors du foyer. L'homme (le père) n'est plus alors le seul "pourvoyeur" du foyer familial.

Par ailleurs certaines professions touchant souvent justement la gestion sociale de l'enfance et de la famille, se féminisent : assistance sociale, soins médicaux, école, "justice familiale"...

La pilule contraceptive féminine et l'I.V.G. légale, transfèrent de l'homme à la femme la maîtrise de la reproduction biologique : non seulement la femme peut décider seule d'être mère ou non, mais encore elle peut décider si son partenaire sera père ou non.

• Les évolutions législatives et judiciaires marquent, elles aussi une rupture du modèle patriarcal (code civil, famille), mais cette rupture est paradoxalement partiale (contre les pères) parce que partielle (incomplète) : Il n'y a plus (et c'est bien ainsi) de "puissance" ou d"autorité" paternelle mais lors des séparations, les enfants sont dans plus de 80 % des cas confiés de façon habituelle à un seul parent qui est la mère (en vertu de son rôle traditionnel).

Pris dans ces (r)évolutions, les hommes-pères ont vu leurs repères patriarcaux voler en éclats sans que d'autres repères se construisent au même rythme. Pourtant les enfants, les pères eux-mêmes, la société et même les femmes sont aujourd'hui croyons-nous en manque de pères.

II - Il faut davantage de père, mais d'un autre type de père

2.1 Le manque de père est reconnu aujourd'hui.

• "manque de père"... du fait des séparations avec hébergement par la mère;

- du fait de l'accaparement professionnel, y compris dans des familles théoriquement unies ;

- du fait du désarroi des pères qui ne savent plus comment se comporter "bien" avec leurs enfants, précisément à cause de la crise du rôle paternel traditionnel, et de l'absence de modèle alternatif reconnu.

• Un manque aux inconvénients maintenant prouvés...

- Pour les enfants : dans une société faite d'hommes et de femmes, pour des petites filles comme pour des petits garçons, il est aujourd'hui clair que la présence aimante très proche, active et responsable d'un père et d'une mère est à la fois le plus gratifiant dans l'immédiat et le plus favorable pour leur avenir ; et donc que la frustration de présence paternelle est à la fois un manque immédiat et un handicap pour l'avenir ;

- pour les pères eux-mêmes et au premier chef pour ceux que les pratiques judiciaires actuelles et les lois insuffisantes empêchent de vivre avec leurs enfants ; mais aussi pour ceux qui perdent le contact pour cause de "marche ou crève" salarial, ou parce qu'ils ne savent plus le contenu de leur rôle ;

- Pour la société, lorsque l'absence des pères, quelle qu'en soit la cause, est repérée de longue date, comme un facteur central de l'émergence de conduites dangereuses chez certains jeunes (drogue, délinquance ...) ;

- et même pour les mères surtout si l'on en croit des psychanalystes comme Christiane Olivier qui attribuent à l'insuffisance des contacts père/enfant dans la petite enfance la survenue ultérieure de réactions misogynes chez l'homme et de difficultés psychologiques chez la femme. Remarquons que des psychologues comme Aldo NAOURI, en appellent eux aussi à une revalorisation de la "place du père" , mais en acceptant une dissociation père biologique/père paternant/père œdipien qui nous semble à rejeter.

2.2 Père actuel : père éternel et nouveau père.

La résurgence du père biologique

L'insistance sur le "lien du sang" à été remise à l'honneur ces dernières années (voir E. SULLEROT), alors qu'elle apparaissait depuis les années 1960-70 comme au mieux secondaire, au pire, porteuse d'archaïsmes suspects (le sang, et pourquoi pas la race ? etc...) ;

De plus des progrès scientifiques (test de Jeffreys) permettent de rendre la paternité biologique aussi certaine que la maternité ; malheureusement en France, ces tests restent réservés à un usage judiciaire. La paternité biologique présente l'intérêt d'être invariante à travers les éventuelles séparations et recompositions familiales dont la fréquence s'accroît.

La permanence du père œdipien.

C'est celui donc, qui "ouvre" le couple mère-enfant et permet la structuration psychique équilibrée des enfants : conflits d'identification pour le garçon, relation "œdipienne" pour la fille. Cette fonction paternelle est constamment réaffirmée depuis Freud, mais la formulation de son contenu varie.

Un rôle de pourvoyeur économique de plus en plus partagé.

Traditionnellement dans nos sociétés, le père était celui des deux parents qui procurait au ménage la partie "extérieure" des moyens de subsistance économique. De plus en plus, les femmes en général et les mères en particulier s'intègrent aux activités économiques hors foyer et partagent donc avec le père ce rôle de "pourvoyeur" même si c'est encore souvent sur une base inégalitaire. Le père n'est plus "le" pourvoyeur . Ce qui n'empêche pas que cette partie de la fonction paternelle émerge comme une montagne au milieu d'un désert lorsque le reste a été brûlé par les règles et les pratiques judiciaires et sociales, en cas de séparation du couple parental.

La (re)demande de père éducateur

Père "éducateur" ne signifie ni père-professeur, ni père autoritaire ni accaparement de la fonction éducatrice par le père (au détriment de la mère). Cette face de la condition paternelle suppose néanmoins d'assumer une autorité sur les enfants, et d'assurer par l'exemple et le dialogue (trop souvent éludé en particulier à l'adolescence), l'inculcation de "valeurs" il est vrai pas mal chahutées aussi ces 30 dernières années. Savoir guider une liberté à la recherche de ses propres repères, même en terrain incertain pour soi-même ne serait-ce pas la version moderne du rôle d'éducateur reconnu aux pères depuis des lustres ? et dont la résur-rection est réclamée à cor et à cri par bien des éducateurs, ou personnages politiques.

L'affirmation du "nouveau père" ou "père paternant".

Il est piquant de voir des femmes sociologues (E. SULLEROT) psychologue (C. OLIVIER) ou philosophe et historienne (E. BADINTER) promouvoir le "paternage" des enfants dès leur naissance (voire avant, grâce à l'haptonomie) alors que des hommes, comme A. NAOURI sont fort réservés à l'égard de ceux qui leur paraissent vouloir s'ériger en "mère-bis".

Le "paternage" quès aco ?

C'est le pendant, côté père, de ce qui est traditionnellement le "maternage" côté mère. : l'établissement de tout un tissu de communication non verbale avec le nouveau né, à l'occasion de la nourriture, de la toilette, du jeu... Communication dont le toucher, le mouvement, l'odeur, le son de la voix, les manifestations visuelles sont autant de supports efficaces ; communication dont l'existence serait décisive pour "attacher" en profondeur l'enfant à ses parents, de telle sorte que celui qui abandonnerait ce terrain à l'autre (le père, traditionnellement, au profit de la mère) - se condamnerait à ne jamais occuper par la suite qu'une place secondaire et précaire dans le psychisme profond de ses enfants.

Et pour un père ce n'est pas être une "mère-bis" que de vivre ce type de rapport avec son enfant : l'enfant, comme peut s'en rendre compte un expérimentateur averti, fait la différence entre les gestes , les jeux, la voix, l'odeur etc... de sa mère et de son père qui l'un et l'autre médiatisent chacun à sa façon son rapport au monde et contribuent donc chacun à sa manière à construire sa personne.

Sans compter que c'est drôlement agréable pour le père aussi !

"Être père en 1996" ( et plus tard !) c'est, à notre sens, pouvoir vivre pleinement (ce qui ne veut pas forcément dire sans nuages !) ces 5 dimensions de la paternité et cela quelles que soient les vicissitudes des relations de couple où peuvent s'impliquer les 2 parents biolo-giques d'un enfant, à telle ou telle période de leur vie. Encore faut-il que nos règles et nos habitudes de vie en société le rendent possible.

III Quelques conditions nécessaires à l'épanouissement d'une pleine paternité.

3.1 Transformer la gestion sociale des conflits familiaux aigus.

Ici se brancherait toute la réflexion sur "une autre justice" et les moyens extrajudiciaires de gestion des conflits (médiation familiale...) ; Plus spécifiquement, il est clair que l'accomplissement de la fonction paternelle telle que nous la concevons implique une véritable vie commune père-enfant qui ne soit pas réduite en confetti au cas de séparation du couple. Ce qui implique de réexaminer la solution de l'hébergement alterné, ainsi que nous y invitent des spécialistes du droit et de la sociologie de la famille tels que I. THERY. Sans éluder les indispensables garde-fous envers les fauteurs de conflits (exemple "loi Californienne").

3.2 Rééquilibrer la place des hommes par rapport aux femmes dans la société et dans la famille.

Comment "paterner" son jeune enfant si l'on ne bénéficie pas d'un congé parental suffisant ? et comment surmonter les pressions de l'employeur peu habitué a voir des hommes s'absenter de leur travail pour "paterner" ? Comment modifier aussi les bases du calcul économique familial qui conduit à sacrifier le moins élevé des deux salaires, c'est-à-dire encore, en général, le salaire féminin ? La lutte des pères pour l'égalité parentale rejoint ici (entre autres) la lutte des femmes pour l'égalité socio-économique (entre autres).

Mais elle doit aussi rejoindre cette lutte sur le terrain du partage des tâches domestiques : d'une part parce que le "paternage" suppose un partage du temps et des fonctions parentales liées à l'enfant, d'autre part parce qu'on ne peut pas logiquement réclamer sa part de l'enfant et refuser celle du ménage !

"Femmes, encore un effort pour l'égalité parentale!"

"Pères, encore un effort pour l'égalité sociale et domestique !"

IV Quelques pistes pour notre Fédération.

Au-delà de l'indispensable débat qui devrait s'engager sur les idées précédentes et à côté de nos autres "chantiers", il nous semblerait opportun :

- de creuser à nouveau de façon approfondie, en liaison avec des spécialistes divers, la question de l'hébergement alterné.

- d'intervenir comme groupe de pression afin de réclamer une véritable éducation "civique et morale" laïque , développant des positions saines sur la paternité, la famille , les places hommes/femmes, en contact avec d'autres éducateurs,

- d'intervenir (conférences, livrets...) en faveur de, et dans le cadre de véritables "préparations au mariage" (laïques) et "préparations à la naissance" (à l'occasion par exemple des préparations actuelles à l'accouchement en milieu hospitalier), voire "d'accompagnement du concubinage" lorsque des couples viennent se déclarer "concubins notoires".

- etc ?... A nos imaginations...

 

DISCUSSION

(Les interventions sont ramenées à leurs idées directrices, et numérotées dans l'ordre chronologique).

1ère intervention.- Bibliographie ? (voir ci-dessous)

l'idée de délégation voire de sous-traitance des soins domestiques aux femmes par les hommes implique une domination d'un sexe par l'autre qui n'était peut-être pas aussi unilatérale que cela.

Dans la référence aux mouvements sociaux concernant les questions hommes/femmes/enfants on a parlé du(des) féminisme(s), et les mouvements d'hommes et/ou de pères ? où en est-on aujourd'hui ? Tenir compte des rythmes respectifs de ces mouvements

• A propos du III et du IV peser sur l'évolution des rôles ne suppose-t-il pas d'intervenir dans le champ culturel ; exemple du langage : "école enfantine" plutôt que "école maternelle" etc... y compris en écrivant aux médias, aux éditeurs ... voir pratiques féministes dans las années 70 ; mais aussi agir auprès des psychologues, des travailleurs sociaux...

... et remettre au goût du jour une de nos propositions d'il y a une dizaine d'années : congé parental pour le père bien supérieur aux 3 jours actuels.

2ème intervention.- N'y a-t-il pas eu dans le passé, une certaine "fonctionnalité" de la domination masculine ?

Autrement dit, plutôt que d'incriminer comme le font les féministes une usurpation de la domination sociale et familiale à leur seul profit par les hommes, ne faut-il pas y voir surtout un type de rapport mieux adapté à la survie des sociétés durant une longue période de l'histoire humaine ?

3ème intervention.- Pour illustrer certains blocages à l'encontre des pères liés à des idées traditionnelles en même temps qu'à la féminisation de certaines institutions, on peut signaler le refus d'admettre une association membre de la FMCP au sein d'une boutique de droit soutenue par la municipalité ; après enquête, nous nous sommes aperçus que le motif qui nous avait été opposé, à savoir que, représentant seulement des pères, nous ne pouvions prétendre contribuer sereinement à la résolution des conflits familiaux : eh bien ce prétexte émane d'un conseil d'administration... exclusivement féminin !

4ème intervention.- Pourquoi ne pas profiter du débat relancé sur la parité hommes/ femmes dans la vie politique, pour rebondir sur la "parité parentale" particulièrement à l'occasion des séparations ?

 

Réponses

Y a-t-il eu vraiment "domination" masculine. ?

Si "domination" il y a eu, a-t-elle eu un aspect "fonctionnel" ?

"Oui" à la 1ère question ; quant à la 2ème, il faudrait discuter plus longtemps - Remarquons qu'il peut y avoir eu "fonctionnalité" et "captation" au moins partielle des avantages de cette fonctionnalité par les hommes ; pour prendre une comparaison, il y avait bien "fonctionnalité" de la domination seigneuriale dans l'univers féodal, et constitution de l'aristocratie féodale en groupe social privilégié.

De toute façon, s'il y a eu fonctionnalité de la domination, celle-ci paraît aujourd'hui dépassée ; une des conclusions majeures de notre exposé est justement qu'il ne faut pas courir en arrière après un chimérique âge d'or du père patriarcal, mais bien au contraire prendre toute notre place en tant que pères et en tant qu'hommes, mais aussi en convergence avec des courants féministes non "revanchistes", dans le grand mouvement actuel de rééquilibrages des rôles sociaux et familiaux hommes/ femmes.

Ni revanchisme anti-femmes !

Ni revanchisme anti-hommes !

Œuvrons en commun pour l'égalité !

697