Retour

nous ne sommes pas des visionnaires ... et pourtant ! Cela fait quelques années que nous émettons la demande d'une "déjudiciarisation" des séparations familiales. Depuis des années, on nous répond que c'est de l'utopie, et puis tout d'un coup, la ministre de la justice prend position, et miracle, tout le monde trouve ça bien !

On ne va pas s'en plaindre ! Bravo Madame la ministre !

EDITORIAL - LE MONDE - MERCREDI 3 DECEMBRE 1997

Se démarier à l'amiable

INCONGRUE il y a peu l'idée fait son chemin. Pourquoi ne pas divorcer devant le maire, de la même façon qu'on s'y marie, Si les deux conjoints sont favorables à cette séparation? Lancée par Elisabeth Guigou, soucieuse d'adapter le droit à la réalité sociale autant que de désengorger les tribunaux, le projet a d'abord provoqué un tollé chez les professionnels du droit, toujours jaloux de leurs prérogatives, avant d'être examiné plus sérieusement au regard des réalités.

C'est que tout plaide pour la déjudiciarisation du divorce. Vingt-deux ans après la loi de 1975, qui avait instauré trois types de divorce - par consentement mutuel, pour faute ou pour rupture de la vie commune -' le nombre de divorces croit d'année en année: 120000 ont été prononcés en 1995 contre 104000 en 1991, dont la moitié sont des séparations par consentement mutuel. Résultat: les services judiciaires explosent sous l'ampleur de la tache. Quant au rôle du juge, s'il prend tout son sens quand il faut régler des situations conflictuelles dans les cas de divorces pour faute ou pour rupture de la vie commune1 il a perdu toute signification symbolique dans les procédures par consentement mutuel.

Il faut entendre, à ce titre, la complainte des juges aux affaires familiales, excédés de devoir prononcer des divorces à la chaîne, qui les détournent d'un contentieux autrement plus problématique. La fonction du juge, qui doit contrôler l'égalité de statut des deux parties, la réalité du consentement et le respect de l'intérêt des enfants, se borne la plupart du temps à entériner une convention liant les intéressés, qui a elle-même été longuement réfléchie. Alors que les anciens époux rentrent dans le bureau du juge dans l'attente d'une symbolique de la séparation, ils en sortent le plus souvent frustrés, déçus d'une justice qui tient plus de rabattage que de l'instante porteuse de sens. Accorder au maire la fonction de délier ce qu'il a déjà pu sceller aurait le mérite de libérer les juges aux affaires familiales de ce contentieux qui n'en est plus un et de les réhabiliter dans leurs fonctions d'arbitre de litiges autrement plus compliqués (garde d'enfants, problèmes de filiation).

Encore faut-il que le divorce civil qui se profile soit porteur de garanties suffisantes. A ce litre, les solutions sont toutes à inventer, qu'elles passent par la création d'une véritable information sur les droits et devoirs de chacun, l'instauration de plusieurs rendez-vous devant le maire avant le prononcé du divorce ou l'assistance d'un avocat ou d'un conseiller juridique. Surtout, le divorce civil ne vaudrait que si les parties gardent le pouvoir de contester la convention établie devant le juge judiciaire.

Outre que ce projet permettrait de désencombrer substantiellement une justice civile qui n'en peut plus, Il entérinerait les pratiques de milliers de couples qui n'attendent pas la justice pour régler leurs problèmes familiaux.