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L'OEIL SUR TOUT | ELLE N°2707 |
Le droit de savoir
Chez nous, il est plus facile de trouver la vérité
de sa naissance en fouillant une tombe qu'en ouvrant un
dossier ! Des dizaines de milliers de Français, nés
d'une femme qui a accouché sous X, n'auront jamais
accès au secret de leur origine. En revanche, Aurore
Drossard a obtenu du tribunal le droit de faire prélever
un peu d'ADN sur les restes d'Yves Montand pour savoir
s'il est effectivement son géniteur. Mieux vaut donc un
père mort qu'une mère vivante pour celui qui veut
connaître son ascendance... Ainsi en décide la justice
française, dont l'incohérence explose à l'occasion de
cette pénible histoire de famille. Chaque année, plus
de sept cents femmes, protégées par la loi, choisissent
d'accoucher dans l'anonymat, condamnant a jamais leur
enfant à la douleur d'ignorer qui l'a mis au monde.
Votée en 1941, cette loi avait, à l'origine, le souci
de protéger l'enfant adultérin dans une période de
guerre. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts, mais la
loi demeure. Seuls le Luxembourg et la France dans le
monde continuent de maintenir l'accouchement sous X. Les législateurs s'appuient sur un unique
argument: éviter le risque d'infanticide. L'explication
pèse bien peu quand on sait que le taux d'infanticides
à la naissance es le même ici qu'ailleurs. En 1978, il
y eut tout d'un coup un espoir immense pour les enfants
abandonnés: enfin l'accès aux archives leur était
autorisé. Ils n 'attendaient que ça, puisque, ces
quatre dernières années, plus de trente mille sont
allés le cur battant consulter leur dossier. En
vain. Accouchement sous X oblige, le nom de leur mère
n'y figure jamais. Le droit d'un adulte qui souffre
d'être dans l'ignorance de lui-même vaut-il le droit
d'une femme à rester dans l'anonymat ? Oui ! Et il est
temps de le décider. La loi semble envisager la levée
du mystère. En permettant d'exhumer un cadavre, un jour,
peut-être, la société, devant les questions des
enfants abandonnés, ne restera plus muette comme une
tombe. MARIE-FRANÇOISE COLOMBANI |