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L'OEIL SUR TOUT ELLE

N°2707
DU 17 AU 23 NOV. 1997

Le droit de savoir

Chez nous, il est plus facile de trouver la vérité de sa naissance en fouillant une tombe qu'en ouvrant un dossier ! Des dizaines de milliers de Français, nés d'une femme qui a accouché sous X, n'auront jamais accès au secret de leur origine. En revanche, Aurore Drossard a obtenu du tribunal le droit de faire prélever un peu d'ADN sur les restes d'Yves Montand pour savoir s'il est effectivement son géniteur. Mieux vaut donc un père mort qu'une mère vivante pour celui qui veut connaître son ascendance... Ainsi en décide la justice française, dont l'incohérence explose à l'occasion de cette pénible histoire de famille. Chaque année, plus de sept cents femmes, protégées par la loi, choisissent d'accoucher dans l'anonymat, condamnant a jamais leur enfant à la douleur d'ignorer qui l'a mis au monde. Votée en 1941, cette loi avait, à l'origine, le souci de protéger l'enfant adultérin dans une période de guerre. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts, mais la loi demeure. Seuls le Luxembourg et la France dans le monde continuent de maintenir l'accouchement sous X. Les législateurs s'appuient sur un unique argument: éviter le risque d'infanticide. L'explication pèse bien peu quand on sait que le taux d'infanticides à la naissance es le même ici qu'ailleurs. En 1978, il y eut tout d'un coup un espoir immense pour les enfants abandonnés: enfin l'accès aux archives leur était autorisé. Ils n 'attendaient que ça, puisque, ces quatre dernières années, plus de trente mille sont allés le cœur battant consulter leur dossier. En vain. Accouchement sous X oblige, le nom de leur mère n'y figure jamais. Le droit d'un adulte qui souffre d'être dans l'ignorance de lui-même vaut-il le droit d'une femme à rester dans l'anonymat ? Oui ! Et il est temps de le décider. La loi semble envisager la levée du mystère. En permettant d'exhumer un cadavre, un jour, peut-être, la société, devant les questions des enfants abandonnés, ne restera plus muette comme une tombe.

MARIE-FRANÇOISE COLOMBANI